04/09/2025

Y a-t-il plus de violence qu'avant ? L'analyse statistique révèle une réalité différente

Y a-t-il plus de violence qu'avant ?

Chaque fait divers relayé de manière obsessionnel et toxique dans les médias alimente l'impression d'une société de plus en plus dangereuse. 

Cette perception, qui tend vers la psychose collective pose une question légitime : « y a-t-il plus de violence qu'avant » ?

Pourtant, les données officielles dessinent un tableau radicalement différent de celui véhiculé par l'opinion publique.

Contrairement aux idées reçues, la France n'a jamais été aussi sûre concernant les homicides. 

L'analyse approfondie des statistiques du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), de l'INSEE et du CESDIP révèle un paradoxe étrange : 

Cette recherche décortique scrupuleusement cinquante années d'évolution de la délinquance en France pour distinguer les transformations réelles des effets statistiques et institutionnels.

Les statistiques de violence révèlent une baisse historique des homicides

La chute des homicides confirme une tendance sécuritaire positive

Le taux d'homicides a été divisé par deux entre 1990 et 2015, passant de près de 3 homicides pour 100 000 habitants dans les années 1980-1990 à environ 1,14 en 2021.

Cette évolution place la France dans une position médiane au niveau européen et avec un taux d'homicides inférieur de 5,5 fois à celui des États-Unis.

Évolution des homicides en France sur la période récente, montrant la remontée puis la légère baisse en 2024
Évolution des homicides en France sur la période récente, montrant la remontée puis la légère baisse en 2024

L'explosion apparente des violences masque des transformations institutionnelles

La remontée des statistiques de violence depuis 2016 s'explique largement par l'amélioration et l'augmentation de l'enregistrement policier et la libération de la parole des victimes.

Les homicides remontent de 816 en 2020 à 1010 en 2023, avant de baisser à 976 en 2024.

Plus préoccupant, les tentatives d'homicide explosent avec une progression de 78 % entre 2016 et 2023, passant de 2259 à 4015 cas.

Les signalements des violences intrafamiliales révèlent l'efficacité des campagnes de sensibilisation

Les coups et blessures volontaires passent de 220 000 victimes enregistrées en 2016 à 337 000 en 2024, soit une hausse de 53 % en huit ans.

Cependant, 54 % de ces violences ont lieu dans la sphère familiale, révélant l'impact positif des campagnes contre les violences conjugales et l'amélioration de l'accueil des victimes.

L'évolution de la délinquance française en trois phases distinctes

La grande transition criminologique et l'explosion de la délinquance (1970-1990)

Cette période correspond à une transformation majeure du paysage criminel français.

Le taux global de criminalité enregistrée a été multiplié par quatre entre 1950 et 1985, passant de 13 % à 67 %.

Les homicides atteignent leur pic historique dans les années 1980-1990 avec environ 2,5 à 3 pour 100 000 habitants.

Cette évolution coïncide avec :

  • Les transformations sociales post-mai 68
  • L'urbanisation accélérée
  • Et l'émergence du trafic de stupéfiants

La stabilisation sécuritaire et la décrue des violences graves (1990-2010)

À partir des années 1990, une tendance inverse s'amorce.

Le CESDIP documente une « érosion du taux d'homicides depuis le milieu des années 80 jusqu'à la fin de la première décennie des années 2000 ».

La délinquance générale se stabilise autour d'un palier élevé, tandis que les enquêtes de victimation montrent une stabilisation des violences physiques réelles entre 2006 et 2016.

La remontée statistique contemporaine et ses explications (2016-2024)

Depuis 2016, une nouvelle phase d'augmentation des statistiques de violence s'observe, mais son interprétation nécessite une analyse approfondie.

Cette remontée reflète davantage une amélioration de la mesure statistique qu'une dégradation réelle de la sécurité.

L'augmentation la plus spectaculaire concerne les violences sexuelles : de 47 000 victimes enregistrées en 2016 à 142 000 en 2024, soit une progression de 202 % en huit ans.

Comparaison internationale des taux d'homicides en 2021 - La France dans la moyenne européenne
Comparaison internationale des taux d'homicides en 2021 - La France dans la moyenne européenne

La mesure statistique de l'insécurité face aux défis méthodologiques

Les biais de la statistique criminelle et leur impact sur la perception

Les statistiques officielles mesurent l'activité des services de sécurité plutôt que la délinquance réelle.

Plusieurs facteurs influencent ces données :

  • L'évolution de la volonté à porter plainte
  • Les modifications des pratiques d'enregistrement policier
  • Le durcissement de la législation
  • « L'amélioration de l'accueil des victimes »
  • Et les campagnes de sensibilisation publique

L'effet #MeToo et la libération de la parole sur les violences sexuelles

La libération de la parole post-#MeToo explique largement l'explosion des violences sexuelles enregistrées.

Les dépôts de plainte pour faits anciens sont passés de 9 % en 2016 à 17 % en 2021.

Historiquement, entre 1974 et 2009, les plaintes pour viol avaient déjà été multipliées par 6,4, suggérant un phénomène de rattrapage statistique continu.

La centralisation statistique et les enjeux d'indépendance

La disparition inquiétante de l'ONDRP en 2020 et le transfert de ses missions au SSMSI ont centralisé la production statistique au ministère de l'Intérieur.

Cette réorganisation soulève de graves questions sur l'indépendance statistique, même si l'enquête « Cadre de vie et sécurité » auprès de 25 000 ménages par an est maintenue.

Les profils de la violence et les disparités territoriales françaises

Qui commet les violences ? Portrait-robot des auteurs d'homicides

Les données révèlent des constantes marquées dans les profils criminels.

  • 90 % des auteurs de tentatives d'homicide sont des hommes, 47 % âgés de 18 à 29 ans

Cette concentration démographique permet d'orienter les politiques de prévention vers les populations les plus à risque.

Cartographie de la violence : où frappent les crimes violents ?

Les territoires d'outre-mer présentent des taux de violence particulièrement accrus, avec des taux de tentatives d'homicide jusqu'à 12 fois supérieurs à la métropole.

En France métropolitaine :

  • La Seine-Saint-Denis
  • Les Bouches-du-Rhône
  • Le Val-d'Oise et Paris occupent les premières places en termes d'insécurité statistique

Sexe et contexte : les victimes selon les espaces de violence

Pour les violences physiques, les victimes sont majoritairement des hommes hors contexte familial (69 %) et des femmes dans le cadre intrafamilial (74%). 

Cette répartition illustre les mécanismes différenciés de la violence selon les espaces sociaux et confirme l'importance des politiques spécialisées.

Stabilisation des tendances et perspectives d'évolution de la criminalité

Les signaux de stabilisation après le rattrapage statistique

Les données de 2024 montrent des signes de stabilisation après la phase de rattrapage de 2016 à 2024.

Les violences physiques n'augmentent plus que de 1 % contre 7 % par an en moyenne précédemment, et les violences sexuelles ralentissent à 7 % contre 11 % par an.

Cette stabilisation suggère que l'effet de « libération de la parole » est progressivement absorbé.

Une société qui progresse dans la prise en charge des violences

L'évolution de la violence en France depuis les années 1970 témoigne paradoxalement d'un progrès social : 

  • Une société qui enregistre mieux les violences est une société qui les prend mieux en charge. 

La baisse historique des homicides, combinée à l'amélioration de la prise en compte des violences intrafamiliales et sexuelles, révèle une transformation positive des institutions de sécurité et de justice.

Les défis futurs : maintenir une statistique transparente et indépendante

L'enjeu principal réside maintenant dans le retour vers un mode d’enregistrement statistique publique indépendant et transparent.

La centralisation au sein du SSMSI nécessite des garde-fous pour garantir l'objectivité des analyses.

La poursuite des enquêtes de victimation reste malgré tout essentielle pour distinguer les évolutions réelles des effets d'enregistrement.

La France dans le contexte international de la violence

La comparaison internationale confirme que la France présente un profil médian en termes de violence criminelle.

Avec un taux d'homicides de 1,14 pour 100 000 habitants, elle se situe dans la moyenne européenne, comparable à l'Allemagne (0,83), l'Espagne (0,68) et l'Italie (0,55), mais très en-dessous des États-Unis (6,38). 

Y a-t-il plus de violence qu'avant pour autant ? Les données objectives révèlent une réponse nuancée : moins de violence létale, mais une meilleure prise en compte des violences intrafamiliales et sexuelles.

Cette évolution reflète une société qui progresse dans sa capacité à identifier, enregistrer et traiter les phénomènes violents, même si cela peut donner l'impression paradoxale d'une dégradation de la situation sécuritaire.


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