07/11/2023

Coups de couteau : au-delà des contrevérités confortables

Coups de couteau : au-delà des contrevérités confortables

La criminalité liée aux couteaux est récemment devenue l'élément de base des discussions publiques de la fange médiatique de plateau.

 

Elle reste sociologiquement pourtant très mal comprise et au-delà des contrevérités confortables, les agressions à coups de couteau restent malheureusement une manne financière et politique intarissable.

 

Naguère, voir à peine dix ans en arrière, cette surmédiatisation n’existait pas. Parce que ce phénomène n’était pas autant développé ? Faux. Les agressions à coups de couteau et la criminalité qui s’y rapporte ont toujours existé dans notre société. Le Petit Journal faisait déjà ses choux gras avec entre 1863 et 1944 (*).

 

La problématique reste et restera semble t’il toujours la même. L’absence, de statistique et d’étude en France sur ce sujet spécifique. Au vu du vide abyssal qui nous sépare d’une quelconque amélioration, le vrai/faux débats sur les statistiques ethniques (1) n’apportera aucun bénéfice à cette problématique.

 

Angleterre, Suède, Danemark et nombres d’autres pays européens, par les recherches qu’ils effectuent, sont en capacité de pouvoir affirmer ce qui tient de mythes et de contrevérités. 

Coups de couteau : fausses nouvelles ou ignorance crasse ?

Chaque fois que l’on évoque la « criminalité au couteau » il faudrait mettre des guillemets, car cette criminalité n’est pas aussi facilement classable que :

  • les braquages à mains armées ;
  • les vols de véhicules ;
  • etc.

Pourtant, ce sont toujours les mêmes stéréotypes d’ignorance et de contrevérités confortables basées sur de fausses statistiques d'attaques au couteau en France qui transparaissent dans la presse des fausses nouvelles.

 

Il s’avère que les comportements en lien avec ce type de violence sont quasiment identiques dans tous les pays européens industrialisés. L’unique solution est donc encore une fois d’étudier ce qui fait hors de territoire français. En l’occurrence de l’autre côté de la Manche.

 

En l’occurrence, les travaux du Dr Elaine Williams (2), doctorante en sociologie, études culturelles, criminologie radicale et maître de conférences à l'Université de Greenwich. Elle est spécialisée dans la politique de la « criminalité au couteau » et possède une vaste expérience dans la pratique du travail auprès de la jeunesse et la prévention du crime dans le sud-est de Londres.

 

Ses recherches portent sur le maintien de l'ordre et la criminalisation des jeunes, avec un intérêt particulier pour l'interaction entre la politique sociale et le discours populaire. Le travail du Dr Elaine Williams cherche à appliquer les cadres théoriques de manière pratique et elle collabore activement avec des œuvres caritatives et des organisations du sud de Londres pour tenter d’influer sur des réformes politiques et donner des conseils sur les stratégies de réduction de la violence.

La presse, les politiques face aux coups de couteau

Lors d’une agression à coups de couteau, ce sont toujours les même types d’argument qui sont susceptible d’être formulées.

 

La presse et les politiques supposeront :

  • qu’il s’agit d’un type de criminalité nettement juvénile ;
  • qu’il s’agit d’un problème localisé dans le centre-ville (en particulier à Londres) ;
  • qu’il s’agit probablement d’un problème caractérisé de manière disproportionnée par la culture de la jeunesse, représentés par des jeunes noirs ou asiatiques.

Sauf que les données sur les agressions à coups de couteau et la criminalité qui s’y rattache racontent une autre histoire. La majorité des infractions de possession de couteau enregistrées et des personnes hospitalisées pour agression avec un instrument tranchant sont des adultes (respectivement 82 % et 83 %) (3).

 

Les taux d'infractions impliquant un instrument pointu, les plus élevés en 2020/2021 se trouvaient dans les West Midlands, avec l'augmentation proportionnelle la plus élevée dans le Surrey (4).

 

Et une fois les facteurs économiques pris en compte (les ethnies noires et minoritaires sont deux fois plus susceptibles de vivre dans des zones défavorisées du Royaume-Uni où les individus sont plus susceptibles d'être victimes de crimes violents.) (5), il n'y a aucune corrélation entre l'origine ethnique et les infractions au couteau.

Quel serait l’objectif des campagnes de prévention ?

Cependant, les homicides entre adolescents à coups de couteau sont une réalité horrible et chaque vie abréger est un drame dont les ondes de choc des traumatismes et de préjudices dans les communautés touchées sont incalculables.

 

Malgré tous les discours et les campagnes de prévention sur la lutte contre la « criminalité au couteau » en Angleterre, il a été constaté très peu de changement dans les taux de violence et d’homicides entre adolescents.

 

Alors qu’elle est l’utilité de qualifier cela de « crime au couteau », si ce n’est pour attirer l’attention ou servir à d’autres desseins ?

Le biais cognitif d’étiquetage dans la criminalisation du couteau

L’expérience du Dr Elaine Williams et ses recherches en matière de prévention de la « criminalité au couteau » depuis 2008 suggèrent qu'il existe plusieurs problèmes dans la façon dont ce biais d’étiquetage encadre la violence entre jeunes.

 

Le biais d’étiquetage est un biais cognitif classique consistant à réduire l’autre ou soi-même à un élément péjoratif de son comportement ou de sa personnalité (6).

 

Premièrement, parler de « criminalité au couteau » plutôt que de violence conduit à des approches axées sur les coups de couteau, qui obscurcissent les causes sous-jacentes et génère des mythes et des contrevérités confortables pour le citoyen non informé.

 

L’introduction du code pénal policier « activé au couteau » en 2001 a constitué un changement déterminant dans la manière dont les infractions avec des couteaux sont comptabilisées.

 

Cette nouvelle case à cocher dans les systèmes d’enregistrement des crimes de la police est devenue la base statistique de la catégorie de crime de type « crime au couteau ». Cette manière de générer des statistiques est apparue au début des années 2000 et marque ainsi le début d’un processus de compréhension de la violence chez les adolescents à travers l’arme utilisée pour la première fois en Angleterre et au Pays de Galles.

 

Outre les lames, la définition de « couteau activé » par le ministère de l'Intérieur inclut tous les instruments tranchants tels que :

Les données ainsi générées ne font souvent aucune distinction entre :

  • les dynamique de violence envers les femmes dans le cadre domestique ;
  • les bagarres dans les bars ;
  • le vol sous la menace d’une arme ;
  • les agressions sexuelles ;
  • ou même l'âge du délinquant.

Ce n’est pas le couteau qui fait la violence

En regroupant la violence dans différents contextes, avec des motivations et des causes sous-jacentes variées, l'agression au couteau présente une conceptualisation du conflit centrée sur les armes, qui fait de l’objet le problème, plutôt que de la violence elle-même.

La culture du couteau n’existe pas

Depuis 2008, les politiques et les pratiques de justice pénale aux Royaumes Unis sont devenues de plus en plus axées sur le couteau et, de ce fait, la cause et l'effet ont été inversés. Une illusoire « culture du couteau » est ciblée en croyant qu’elle provoque la violence, plutôt que de comprendre les contextes violents qui ont rendu inévitable cette pseudo-culture.

 

Ceux qui travaillent sur le terrain avec les jeunes ont toujours reconnu les changements sociologiques sous-jacents qui ont intensifié cette violence au cours des dernières décennies (10), mais ces compréhensions cruciales sont obscurcies par une fixation sociétale sur les couteaux et les lames qui font du « crime à coups de couteau » un tel phénomène. Un étiquetage persistant.

La prévention des crimes avec un couteau ?

Deuxièmement, le discours ouvertement raciste Anglais qui présente les agressions à coups de couteau comme étant culturellement attaché aux adolescents noirs ou asiatiques est difficile à dissocier de ce biais d’étiquetage.

 

Le Dr Elaine Williams a animé un projet de prévention des crimes avec une arme contondante dans le cadre duquel des adolescents ayant commis une première infraction avec un couteau rencontraient des policiers locaux et leur posaient toutes les questions qu'ils souhaitaient.

 

Un adolescent noir a demandé aux policiers « pourquoi arrêtez-vous toujours et fouillez-vous les garçons noirs ? ». Un officier blanc a fait signe au groupe de jeunes majoritairement noirs et issus de minorités ethniques présents dans la pièce et a répondu d'un ton neutre : « Eh bien, il suffit de regarder les gens dans cette pièce pour savoir que le crime au couteau est un crime et une question noire ».

 

En fait, la représentation de la population dans la pièce était proportionnelle à celle des adolescents d’âge scolaire de ce quartier de Londres, mais le message institutionnel était clair. Cette interaction au cours d’un projet sur les crimes à coups de couteau illustre la racialisation manifeste et « de bon sens » de la « criminalité au couteau » dans le discours officiel et dans les pratiques de prévention.

 

Il n’est guère surprenant que de telles interprétations se soient normalisées, étant donné qu’à l’époque. Le Premier ministre Tony Blair a déclaré en 2007 : « En ce qui concerne les gangs armés de couteaux et d’armes à feu… Nous n’arrêterons pas cela en prétendant que ce ne sont pas de jeunes enfants noirs qui s’en chargent » (7).

 

Nous pourrions faire, sur le territoire français, exactement la même parallèle concernant « le phénomène des banlieues » avec une citation bien connue.

L’aboutissement de la surmédiatisation de la violence au couteau

Avec des connotations plus violentes, en 2018, la BBC a diffusé les propos d’un membre du public de l’émission télévisuelle « l’heure des questions », qualifiant les auteurs de crimes au couteau de « race particulière d’humains qui… devraient être traités comme le cancer qu’ils sont et exterminés » (8). Voici la résultante d’une surmédiatisation de faits de violence de société.

Le biais d’étiquetage dans la presse

Ce biais d’étiquetage est également utilisé de manière sélective dans la presse. L'analyse des rapports sur ces crimes au cours de l'année 2017 révèle que dans toute la presse nationale autre que le « The Guardian », l'étiquette « crime au couteau » n'était utilisée que pour décrire les incidents où la victime était un adolescent ou un enfant noir situé dans une ville (9).

 

L’impact combiné d’une approche restrictive du couteau et de la notion racialisée d’une certaine « culture du couteau » rend l’étiquette de ce type d’agression à coups de couteau particulièrement problématique. Cependant, pour de nombreuses personnes et organisations engagées dans la réduction de la violence entre jeunes, cette étiquette constitue la seule attention médiatique et publique qui fera de la tragédie des homicides entre enfants une priorité politique.

La vie brutale, les inégalités économiques et le couteau

Le Dr Elaine Williams affirme qu’elle continuera, avec l’aide des associations, à travailler dans ce dilemme qui est inévitable et qu’elle continuera à naviguer dans ce biais d’étiquetage et ses hypothèses dans le travail de réduction de la violence.

 

Il faut constamment et consciemment déplacer le regard, la conversation, au-delà des contrevérités confortables médiatiques de ce que représentent les drames des agressions à coups de couteau et de la culture de la jeunesse à chaque occasion.

 

Et plutôt attirer l'attention sur les conditions réelles de vie brutales, les inégalités économiques, qui ont normalisé la violence dans la vie quotidienne de nombreux jeunes.


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Sources :

 

(*) Le Petit Journal

https://www.universalis.fr/encyclopedie/le-petit-journal/

Bibliothèque nationale de France Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32895690j/date

(1) Faut-il élaborer des statistiques ethniques ?

https://www.vie-publique.fr/eclairage/19354-faut-il-elaborer-des-statistiques-ethniques

https://www.insee.fr/fr/information/2108548

(2) Dr Elaine Williams. Doctorante en Sociologie, études culturelles et criminologie radicale. Maître de conférences à l'Université de Greenwich.

https://www.gre.ac.uk/people/rep/las/elaine-williams

(3) Grahame Allen & Megan Harding, ‘Knife Crime in England and Wales’ House of

Commons Library (September 2021). https://researchbriefings.files.parliament.uk/

(4) The problem with « knife crime »; What’s in a label ? Dr Elaine Williams

https://gala.gre.ac.uk/id/eprint/35236/2/35236_WILLIAMS_The_problem_with_knife_crime.pdf

(5) Gov.uk. ‘People Living in Deprived Neighbourhoods’, found in ‘Uk Population by

Ethnicity, Ethnicity Facts and Figures’. (16th March 2018)

(6) Distorsion cognitive #9 – L’étiquetage

https://www.leblogdesrapportshumains.fr/distorsions-cognitives/

(7) UKPOL. Tony Blair—2007 Callaghan Memorial Speech. UKPOL (2007). http://www.ukpol.co.uk/tony-blair-2007-callaghan-memorial-speech/

(8) Evans, A. ‘Question Time audience gasps as man calls perpetrators of knife crime a

‘cancer’ who should be ‘exterminated’ INews (2018) : https://inews.co.uk/news/uk/question-time-knife-crime-cancer-audience-video-220175

(9) G. Younge. ‘The radical lessons of a year reporting on knife crime’. The

Guardian. (21st June 2018). https://www.theguardian.com/membership/

(10) E. Williams & P. Squires. ‘Rethinking Knife Crime; Policing, Violence and Moral

Panic?’ Palgrave MacMillan (2021)