11/03/2020

Attaques au couteau et dérives anglo-saxonne

Statistiques attaques couteau France #3

L'attaque au couteau est à la mode. Une certaine presse et certains centres de formation douteux, suggèrent, avec des statistiques d'attaques au couteau non sourcées, que nous nous dirigerions « vers une dérive à l’Anglo-saxonne ». Soit, pourquoi pas.

 

Mais avant de dérouler des banderoles dithyrambiques de cette nature, faudrait-il encore pouvoir réussir à les documenter. Dans le monde entier, dans le cadre de crimes et délits, l’utilisation d’armes comme le couteau ou les armes de nature tranchante existe (1) !

 

Il semble même ironiquement possible de pouvoir affirmer que cela a toujours existé (2). Il n’y a pas pour autant, de « dérives anglo-saxonne » scientifiquement documenté à ce jour.

 

Le terme anglo-saxon désigne « plus généralement les habitants de Grande-Bretagne ou les peuples de civilisation britannique » (3) (États-Unis, Canada, l’Irlande, l’Australie et Nouvelle-Zélande). Glissement sémantique insidieusement volontaire ou impéritie (18) chronique ? Impossible de répondre.

Il y a une particularité sociologique de l'Angleterre concernant les violences au couteau. Elle se caractérise par le fait que la population la plus impactée, semble être au prime abord beaucoup plus jeune que dans d’autres pays (4). De surcroît que cela soient les recherches de Lemos & Crane en 2004 (4) ou l'étude « Young people, knives and guns » paru en 2009 (5), ces pays n'ont aucune leçon à recevoir, car ils ont pris le problème à bras-le-corps depuis bien longtemps, et ont plus de 20 ans d’avance sur la France au niveau des recherches scientifiques sur ce sujet.

 

À titre d’exemple ces pays ont été capables de produire les fameux « Medical Research Council (MRC) » et la « National Survey of Health and Development (NSHD) ». Les deux plus anciennes cohortes d’études sur la situation sanitaire et sociale d'un échantillon représentatif de 5 362 hommes et femmes nés en Angleterre, en Écosse ou au Pays de Galles, depuis mars 1946. (5)

Évaluations pertinentes des attaques au couteau des pays anglo-saxons

Afin d’essayer de montrer le fossé actuel qu’il peut y avoir entre les recherches d'attaques au couteau des pays anglo-saxons et le reste de l’Europe, il est impressionnant d’observer la qualité du travail fourni lors de la recherche : « Young people, knives and guns ».

 

Pour entreprendre une méta-analyse sur la littérature scientifique internationale sur les jeunes et la criminalité liée aux couteaux et aux armes à feu, ils ont examiné une vaste gamme de documents produits au cours la période 1998-2008. Cela comprenait des recherches pertinentes publiées et non publié dans le domaine :

  • de la justice pénale ;
  • de la psychologie ;
  • de la sociologie ;
  • de la géographie sociale (6)
  • de la santé.

Leurs priorités étaient l’accumulation systématique des recherches et évaluations pertinentes sur ces sujets issus de la littérature de la plus haute qualité, britannique, nord-américaine et australienne.

 

Afin d’identifier les meilleures recherches quantitatives (fondées sur des mesures), ils ont utilisé la norme « Maryland Scale of Scientific Methods » (7), la base de données multiples CSA (8), un certain nombre d'autres bases de données pertinentes, ainsi qu'une variété de revues et de publications gouvernementales, à la fois sur papier et sur le Web.

 

Bien que la recherche se soit concentrée principalement sur la période 1998-2008, ils ont inclus toutes recherches antérieures si elle revêtait une importance particulière. Les matériaux étaient obtenus par voie électronique ou par le biais de prêts de bibliothèques.

 

Après des milliers de recherches réparties en plus de 100 chaînes de recherche, regroupées par thème, selon :

  • les facteurs de risque et de protection ;
  • les caractéristiques des zones à forte criminalité chez les jeunes à l'aide d'armes à feu et de couteaux (en termes de structures familiales, de niveaux de privation et de désavantages sociaux, de logement, d'emploi et d'appartenance ethnique);
  • stratégies et programmes de prévention et d'intervention... 

Seulement, à partir de ce genre de travaux spécifique, il est possible d’avancer un certain nombre d’affirmations. Sur notre territoire, nous en sommes très loin.

Quid de notre niveau ? Les parutions européennes ont été peu utilisées, car elles traitaient principalement de la prévention de la violence chez les jeunes en général, plutôt que de la criminalité au couteau et armée, ou avait un degré d’exigence inférieure aux études standard.

Un travail de parution de fond sur les attaques au couteau

Avant de publier et de laisser courir des informations sur les attaques au couteau et les dérives anglo-saxonne qui se rapprocherait plus de la rumeur ou d’une banalité faussement savante qu’autre chose. Il serait peut-être beaucoup plus constructif de présenter ce sujet sociologique comme il se doit.

 

La violence est un phénomène historique. Elle reste au cœur de l’expérience historique des femmes et des hommes. Dans un travail de parution de fond, avant de stigmatiser un pseudo-phénomène de « dérive comportementale » sur les agressions au couteau, pourquoi ne pas citer l’Italie, puisque nous y sommes ?


Comme nombre de pays européen, en Italie, « poignarder est une manière courante de commettre un homicide, représentant environ 25% de tous les homicides ; et il représente la deuxième cause de décès lié à un homicide, la première étant représentée par les armes à feu. » (9).

 

Les meurtres contre les femmes sont perpétrés autrement que chez les hommes. Les statistiques de la police italienne indiquent que dans plus de 30 % des cas, les meurtres de femmes sont commis avec des armes blanches et ce mode opératoire a augmenté ces dernières années. 25 % des meurtres se pratiquent avec des armes à feu, mais diminuent au fil des ans d'environ 10 %.

L'analyse, réalisée par le ministère de la Justice en 2016 - 2017 sur les condamnations finales à mort pour les années 2012-2016, montre également à quel point les meurtres de femmes sont plus violents :

  • la quantité de coups de couteau est plus importante envers les femmes ;
  • plusieurs coups de feu fatals sont répétés ;
  • l'auteur utilise plusieurs façons de tuer.

Sur 417 jugements examinés, 355 d'entre eux, 85,5 %, ont été classés sous la forme du néologisme : « féminicide » (mot inconnus du dictionnaire) (10). Il ressort de ces données que dans 40,2 % des cas, les femmes sont frappées à plusieurs reprises avec une arme pointue ou de coupe (couteaux de cuisine, poignards).

 

Dans 15,5 % des cas des armes inappropriées sont utilisés (marteaux, haches, bâtons, barres) tandis que dans 12,8 % des armes à feu sont utilisées. (11)

La violence humaine et les attaques au couteau

Ces chiffres peuvent malheureusement faire froid dans le dos, mais ils ne sont que des phénomènes de société universelles qui continuent de présenter de nombreux points d'intérêt. Ils sont cruels, mais ils offrent des contributions importantes à la compréhension des diverses dynamiques sociales, économiques et culturelles qui traversent les peuples humains.

 

L’Italie comme le Royaume-Uni, la France et des centaines d’autres pays dans le monde sont impactés par ce phénomène qui s’appelle la violence humaine des attaques au couteau. Dès que l’on prend un temps sois peu de recul par rapport à une échelle de temps plus grande ou une population plus vaste : les motifs, la quantité, le type d’armes, les catégories sociales… Sont toujours identiques.

La « dérive » d’agression au couteau n’est pas un phénomène scientifique. « La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à la dictature. » , « Toute l'histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens les uns des autres, parce que si on peut les maintenir isoler assez longtemps, on peut leur faire croire n'importe quoi. » Noam Chomsky (12). Bref, la « dérive anglo-saxonne » ou de quel qu’autres pays, sur les violences au couteau, n’existe pas et n’est qu’un effet de manche journalistique de plus.

L'arme la plus meurtrière est l'esprit humain

Le rapport humain avec une arme est propre à notre espèce et à notre nature. « L’arme fascine par sa puissance latente, sa force, sa forme ou son sillage. » (15)

Bien que les jeunes hommes aient tendance à affirmer qu’ils portent des couteaux « pour se protéger », la présence d’armes peut servir à intensifier et à perpétuer les conflits. Ainsi qu’à augmenter la probabilité de blessures graves (16). « La peur l'emporte sur l'agression en tant que facteur de motivation... » de port d’un couteau. « [C'est pour] la défense, mais le fait est qu'un couteau n'est pas une arme défensive… C'est une arme d'attaque. » (17).

 

L’interprétation d’une utilisation offensive faite par l’auteur n’engage que lui et s’avère être extrêmement discutable. A contrario la protection et la légitime défense peuvent être une motivation initiale qui explicite le port d'armes, mais elles établissent un cercle vicieux, potentiellement fatal à plus long terme. « Poser en postulat la légitimité de la légitime défense revient à établir la chaîne sans fin des représailles/réagressions réciproques... » (15)

Après entretien, alors qu’un certain nombre d’individus prétendent que le port d'armes prend son sens dans le fait d’adopter les « codes » de comportement de la rue. D'autres ont fait valoir que ce comportement même peut être perçu comme menaçant, agressif et susceptible d’inciter à la violence plutôt que de la dissuader (4). La contradiction humaine influencée par un état de peur et de manque d’assurance.

 

Bien que la protection puisse être une motivation initiale pour le port d'armes, « l'agression peut être le résultat » (2). Selon ce qui a été nommé comme une forme d '« externalité réplicative », « le port de couteau par [certains] adolescents qui sont perçus comme une menace, semble influencer directement la probabilité que d'autres portent en réponse » (4).

Les crimes au couteau ne sont pas des dérives anglo-saxonne

Les crimes et les attaques au couteau commises, constituent des catégories spécifiques de crimes violents, ne sont pas des dérives anglo-saxonne, et sont donc plus rares que les cas de violence en général.

 

Cela signifie que de telles actions complexes sont encore moins répandues dans les sociétés et donc plus difficiles à prévoir. Se tenir prêt, formé et informé autant que possible, reste la solution la plus sage.


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Sources

(1) Global study on homicide 2019
https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/global-study-on-homicide.html
(2) Statistics
https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/statistics.html
(3) https://www.cnrtl.fr/definition/anglo-saxon
(4) YOUNG PEOPLE, KNIVES AND GUNS A comprehensive review, analysis and critique of gun and knife crime strategies
Arianna Silvestri, Mark Oldfield, Peter Squires and Roger Grimshaw
https://www.crimeandjustice.org.uk/sites/crimeandjustice.org.uk/files/YP%20knives%20and%20guns.pdf
(5) « 1946 National Birth Cohort »
www.nshd.mrc.ac.uk
(6) « branche de la géographie qui étudie les rapports entre les espaces et les sociétés. » Elle « s’efforce de placer les rapports sociaux au cœur du procès géographique ».
https://journals.openedition.org/cybergeo/27761
http://www.geographie-sociale.org/definition-geographie-sociale.htm
(7) The Maryland Scientific Methods Scale (SMS)
https://whatworksgrowth.org/resources/the-scientific-maryland-scale/
(8) CSA Database
http://www.open.ac.uk/libraryservices/documents/factsheets/csa.pdf
(9) https://www.eures.it/
(10) https://www.cnrtl.fr/definition/n%C3%A9ologisme
INCC. Institut national de criminalistique et de criminologie
https://incc.fgov.be/vanneste-charlotte
https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/lincorrect/le-feminicide-un-concept-combattre-109572
(11) https://www.istat.it/it/files/2018/11/Report_Vittime-omicidi.pdf
(12)  Comprendre le pouvoir, tome 2, 1993.
http://www.noam-chomsky.fr/livres-chomsky/
(13) Le fonctionnalisme
https://wp.unil.ch/bases/2013/07/le-fonctionnalisme/
(14) Les catégories socioprofessionnelles (CSP)
http://www.observationsociete.fr/definitions/categories-socioprofessionnelles-csp.html
(15) L’éthicien des armes. Jean-Paul Charnay
https://www.cairn.info/revue-inflexions-2008-2-page-213.html
(16) Fagan et Wilkinson 1998
https://psycnet.apa.org/record/1998-06705-002
(17) Fear and fashion. The use of knives and other weapons by young people.
https://lemosandcrane.co.uk/resources/L&C%20-%20Fear%20and%20Fashion.pdf

(18) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/imp%C3%A9ritie/41868

(*) www.gesivi.fr

 

Mise à jour le 06/07/2023