06/05/2025
Ce lien, objet de nombreuses études criminologiques depuis près d'un siècle, s'inscrit dans une réalité statistique qui mérite d'être analysée avec rigueur.
La pauvreté, les inégalités socio-économiques et leurs impacts sur les comportements délinquants représentent un enjeu majeur pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent l'évolution de la
criminalité dans nos sociétés contemporaines.
L’objet de ce texte est d'explorer les différentes dimensions de cette relation, d'examiner comment le contexte économique influence les phénomènes criminels et si le lien entre pauvreté,
inégalités et violences est un fait établi.
La théorie de l'anomie (1), développée initialement par Robert Merton en 1938, offre un cadre conceptuel pertinent pour comprendre comment les facteurs économiques influencent les comportements
criminels.
Selon cette théorie, une société devient anomique lorsque les possibilités d'atteindre les objectifs de réussite sociale ne sont pas équitablement réparties.
Cette situation génère des groupes d'individus en conflit, incapables d'accéder aux moyens légitimes permettant d'atteindre leurs aspirations sociales.
Merton a fait évoluer cette théorie en 1957 vers ce qu'il a nommé la « théorie de la tension » (2), expliquant que les personnes défavorisées n'ayant pas accès aux moyens légitimes pour
atteindre leurs objectifs de réussite sociale connaissent une tension intérieure pouvant conduire à la délinquance.
Cette approche reste fondamentale pour analyser comment pauvreté et inégalités peuvent influencer le comportement des individus.
Complémentaire à la théorie de l'anomie, la théorie du lien « frustration-agression » développée par Dollars et ses collaborateurs en 1939 (3), puis reformulée comme « agression
réactive » par Berkowitz en 1993, démontre que les expériences frustrantes augmentent les risques de comportements violents.
Plus une société présente des différences marquées d'accès aux biens, à la richesse et aux services, plus elle génère de la frustration chez les habitants privés de ces ressources, ce qui peut
expliquer la violence de certains d'entre eux.
Les recherches comparatives à l'échelle internationale intègrent généralement la pauvreté et les inégalités dans leurs modèles d'analyse pour en vérifier l'impact sur la criminalité.
Ces études utilisent des indicateurs comme le PIB, le taux de chômage ou le coefficient de Gini (4) qui permet de mesurer l'inégalité.
Un grand nombre de ces études suggèrent que le développement économique d'un pays est négativement corrélé à la criminalité :
D'autres recherches montrent que la variation du taux de criminalité entre différents pays s'explique par la présence d'inégalités économiques au sein de ces pays.
Plus précisément, plus un pays présente un indice de Gini élevé (indiquant une forte inégalité), plus son taux de criminalité sera important.
Cette corrélation suggère que ce n'est pas tant la pauvreté absolue qui influence la criminalité, mais plutôt l'écart relatif entre les riches et les pauvres au sein d'une même société.
Selon la « théorie du choix rationnel » développée par Cusson en 1981 (5), une personne qui commet une infraction est motivée par le bénéfice que celle-ci va engendrer.
Ce bénéfice peut être de nature diverse (notoriété, excitation, puissance), mais revêt souvent un caractère économique. Le passage à l'acte criminel implique ainsi une évaluation
« coûts/bénéfices » et un choix basé sur l'optimisation du résultat pour l'auteur.
Cette approche permet de comprendre pourquoi certaines fluctuations économiques influencent les activités criminelles.
Par exemple, la hausse du cours de certains métaux non ferreux ou de l'or a entraîné une augmentation des vols ciblant ces matériaux, démontrant comment les délinquants adaptent leurs cibles en
fonction de la valeur marchande des biens.
« La théorie des opportunités » (6) développée par Cohen et Felson (1979) complète l'analyse du choix rationnel en soulignant qu'un crime nécessite trois éléments concomitants :
L'économie influence particulièrement les deux derniers critères.
L'évolution des habitudes de consommation depuis le milieu du XXe siècle, avec l'apparition d'objets à forte valeur ajoutée et faciles à subtiliser (téléphones portables, matériel informatique),
a multiplié les opportunités criminelles.
Parallèlement, les changements dans les modes de vie (travail des femmes, développement des transports) ont réduit la présence au domicile, diminuant ainsi la surveillance des biens personnels.
Les périodes de crise économique, caractérisées par une hausse du chômage et de la précarité, peuvent influencer les taux de criminalité.
Les analyses confirment que le contexte socio-économique affecte directement la population carcérale, la prison touchant particulièrement les populations les plus défavorisées.
Cette réalité statistique établit un lien entre précarité sociale et incarcération, reflétant les inégalités face à la justice pénale.
Les organisations criminelles ont démontré une remarquable capacité d'adaptation aux évolutions géo-économiques et financières mondiales.
Elles ont su moderniser leurs activités traditionnelles (prostitution, trafics, fraude) et investir de nouveaux secteurs économiques vulnérables, adoptant les codes et règles de l'économie de
marché.
Cette criminalité organisée fonctionne désormais comme une véritable entreprise :
L'analyse du lien entre pauvreté et criminalité révèle une réalité plus complexe qu'une simple relation causale directe.
Si les données statistiques confirment une corrélation entre précarité économique et certaines formes de criminalité, les mécanismes sous-jacents impliquent de multiples facteurs :
Cette compréhension nuancée permet d'envisager des approches plus efficaces pour réduire la criminalité, combinant politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités, prévention
situationnelle et réinsertion sociale.
La relation entre économie et criminalité fonctionne dans les deux sens : si le contexte économique influence les comportements criminels, les activités illicites ont également un impact sur
l'économie légale.
Cette interaction complexe nécessite des réponses multidimensionnelles, allant au-delà de la simple répression pour s'attaquer aux racines socio-économiques de la criminalité.
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Sources :
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Anomie
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_King_Merton
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_la_frustration-agression
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_choix_rationnel
(6) https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/1993-v26-n2-crimino936/017337ar.pdf
- https://www.persee.fr/doc/oss_1634-8176_2003_num_2_1_922
- https://shs.cairn.info/revue-specificites-2014-1-page-202?lang=fr