23/09/2025
Le classement des féminicides en Europe révèle une mosaïque de taux, d'évolutions et de systèmes de décompte désordonnés.
Contrairement à d'autres statistiques criminelles, il n’existe aucun système de collecte harmonisé spécifiquement dédié à l'échelle européenne.
Cette absence d’harmonisation complique la comparaison rigoureuse des données, rendant d’autant plus nécessaire l’instauration de définitions standardisées et de méthodologies fiables.
Mieux comprendre les écarts entre pays, les tendances récentes et les difficultés de mesure constitue un enjeu central pour élaborer des
politiques efficaces de lutte contre ces violences nommées féminicides.
Très peu de pays européens publient des données fiables et comparables sur les féminicides.
Selon les plus récentes études et recensements des agences spécialisées, seuls six pays ont rapporté des taux certifiés de féminicides pour 100 000 femmes.
La Turquie arrive en tête avec un taux estimé de 1,13, suivie de l’Autriche (0,98), du Danemark (0,44, période 1992-2016), du Monténégro (0,44, période 2017-2021), de la Croatie (0,35), de
l’Italie (0,33) et de la Macédoine du Nord (0,27).
Classement des féminicides par taux pour 100 000 femmes :
La majorité des pays européens ne disposent pas de systèmes de collecte dédiés au phénomène.
Le champ de définition diffère radicalement car certains États ne recensent que les homicides conjugaux, alors que d’autres englobent tous les homicides féminins motivés par le sexe.
Les chiffres officiels varient selon la source initiale (statistiques policières, judiciaires, hospitalières ou issues d’ONG).
Cela occasionne des écarts notoires, particulièrement pour la Turquie, où les données des ONG sont bien supérieures aux chiffres gouvernementaux, reflet d’un sous-reporting structurel.
La région des Balkans, illustrée par le Monténégro et la Macédoine du Nord, enregistre ces dernières années une diminution manifeste des taux de féminicides (baisse de 33 % au Monténégro entre 2017 et 2021).
La Turquie connaît une augmentation dramatique :
Plus de 94 % des femmes tuées l’ont été par leurs partenaires ou ex-partenaires, confirmant la prépondérance de la sphère conjugale.
L’Italie montre une tendance à la baisse avec 0,33 féminicide pour 100 000 femmes selon les dernières années.
La France, comme la plupart des grands pays européens hors classement, ne publie pas de taux officiel harmonisé, ce qui la rend difficilement comparable.
Les pays nordiques (Danemark, Suède, Finlande, Norvège) illustrent un paradoxe :
Cette dissociation révèle l’efficacité probable de leurs dispositifs de prévention et d’accompagnement, ainsi qu’un moindre passage à l’acte létal, malgré une forte visibilité médiatique.
Plusieurs hypothèses coexistent concernant ce paradoxe :
Ces éléments agiraient comme facteurs de protection, limitant le passage des violences conjugales à l’homicide.
Il demeure cependant risqué d’attribuer la totalité de l’écart à l’action publique seule, le taux de déclaration des violences pouvant être plus élevé justement grâce à la confiance dans le système, faussant la comparaison « à visibilité égale ».
La crise du COVID-19 a terriblement bouleversé la dynamique des violences sexistes.
Certains pays comme la France ont connu une forte hausse des signalements, notamment en zone urbaine (+ 36% à Paris).
Ailleurs, comme en Italie et au Portugal, la tendance est inversée (-44 % et -26 % respectivement), souvent corrélée à une plus grande difficulté d’accès aux
services d’aide et de signalement.
L’analyse des politiques de confinement révèle que la rigueur des restrictions ne prédit pas systématiquement l’évolution du taux de féminicides.
Ainsi, l’Italie, pourtant « championne » des mesures sanitaires, a observé une baisse parallèle des cas signalés, signe qu’un « effet cocotte-minute » peut coexister avec une sous-détection.
L’Europe a massivement développé des dispositifs d’aide numérique (chats, WhatsApp, SMS) et des codes secrets en pharmacie (« Masque-19 ») permettant à quelques victimes de discrètement demander secours, ce qui a atténué en partie l’effet de confinement sur la sécurité des femmes.
L’absence d’une définition légale du féminicide reconnue à l’échelle européenne mine tout effort comparatif.
Certains pays limitent la notion aux violences intra-familiales, d’autres l’étendent à toute mise à mort motivée par le sexe, créant une grande variabilité dans les taux et la compréhension du
phénomène.
La diversité des sources (police, justice, hôpitaux, ONG, médias), chacune porteuse de biais propres, génère des disparités majeures.
Les pratiques de comptage, la précision des motifs et la transparence institutionnelle expliquent également de fortes zones d’ombre, notamment en Europe de l’Est et du Sud.
Les autopsies et expertises médico-légales sont sous-utilisées comme outils pour différencier le simple homicide et le féminicide reconnu (nature des blessures, circonstances imputées au
genre).
L’intégration de ces méthodes pourrait améliorer la fiabilité des confirmations de féminicide et la standardisation des données.
Une illustration des taux disponibles, bien que partielle, fait émerger d’importants écarts entre pays.
Cette infographie illustre parfaitement le défi méthodologique majeur : seuls 7 pays sur les 27 membres de l'UE disposent de statistiques fiables et comparables sur ce phénomène critique.
Le classement des féminicides en Europe met en lumière la grande diversité des situations nationales, mais aussi les carences méthodologiques désastreuses freinant toute étude comparative
approfondie.
Face à ce défi, l’Union européenne et les institutions spécialisées multiplient les campagnes de sensibilisation, les réformes structurelles (ex : éviction du conjoint violent en Italie, contact
proactif en Irlande) et les innovations numériques.
Toutefois, seul l’établissement d’un système harmonisé, basé sur des définitions partagées et des méthodologies rigoureuses, permettrait de dresser un tableau juste de ce phénomène.
Ce standard commun est fondamental pour développer des politiques publiques ciblées et efficaces contre les violences fondées sur le sexe.
La coordination internationale, l’intégration de la médecine légale et la transparence contribuerait à éradiquer durablement les féminicides en Europe.
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Sources :
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- https://academic.oup.com/eurpub/article/34/Supplement_3/ckae144.1060/7844397?login=false
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- https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ssqu.13364
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