26/07/2025
La question de l'amplification de la délinquance au couteau par les réseaux sociaux constitue un enjeu majeur de santé publique en Europe.
Les récents événements tragiques, ont relancé un débat sans fin autour d’un phénomène de société : la pauvreté et la violence.
Les réseaux sociaux amplifient-ils réellement la délinquance au couteau ?
L'analyse de plus de 10 000 adolescents britanniques et les études menées dans plusieurs pays européens démontrent que l'influence des plateformes numériques sur la violence juvénile procède davantage de processus psychosociaux subtils que d'une incitation mécanique à l'agression.
Cette étude, menée auprès d’adolescents de 13 à 17 établit des corrélations statistiquement significatives troublantes.
Parmi ceux qui ont commis des actes de violence au cours de la dernière année, 91 % ont été exposés à de la violence en ligne, contre seulement 66 % de ceux qui n'ont pas perpétré de
violence.
Cette différence de 25 points révèle une association forte, sans pour autant démontrer une causalité directe.
Plus révélateur encore, 64 % des jeunes qui ont commis des actes de violence déclarent que les réseaux sociaux ont joué un rôle dans leur comportement.
Les mécanismes identifiés incluent :
Les recherches mettent en évidence des processus de désensibilisation chez les jeunes fortement exposés au contenu violent.
L'étude de l'University College London souligne qu'avec les images violentes devenant courantes en ligne, certains jeunes sont devenus désensibilisés et ont peu ou pas de réaction aux
images de couteaux.
Cette désensibilisation s'accompagne d'une normalisation progressive de la violence comme mode de résolution des conflits.
L’étude révèle que 58 % des jeunes exposés au contenu lié aux armes déclarent que cela les amène à voir le port d'armes comme une normalité du quotidien.
Cette normalisation constitue un mécanisme d'amplification indirect mais puissant, transformant la perception collective de la violence.
L'impact des réseaux sociaux varie considérablement selon les profils de vulnérabilité des jeunes.
Ceux, déjà en situation de fragilité sont disproportionnellement affectés :
Les jeunes exclus de l'école présentent des comportements particulièrement préoccupants : ils sont 14 fois plus susceptibles de rechercher activement du contenu violent.
Cette donnée suggère que les réseaux sociaux agissent comme un amplificateur des vulnérabilités existantes plutôt que comme un facteur causal indépendant.
Les chercheurs soulignent unanimement la difficulté d'établir des liens directs entre exposition aux réseaux sociaux et passage à l'acte violent.
L'étude britannique sur les campagnes de sensibilisation conclut que malgré l'exposition à des images liées aux couteaux augmentant l’importance de la mortalité, il n'y avait aucun effet direct
sur la volonté de le porter.
Cette conclusion nuance l'idée d'une influence directe et mécanique des réseaux sociaux sur les comportements violents.
Les chercheurs suggèrent que les mécanismes d'influence sont plus subtils et interagissent avec de nombreux autres facteurs sociaux, économiques et psychologiques.
Romain Badouard, chercheur en sciences de l'information, apporte une critique importante de la tendance à faire des réseaux sociaux des boucs émissaires : « accuser les réseaux sociaux d'être
responsables des violences est aussi une manière de dépolitiser et de délégitimer les causes structurelles. »
Cette analyse suggère que la focalisation sur les plateformes numériques détourne l'attention des causes profondes de la violence juvénile.
Les recherches existantes présentent plusieurs limitations méthodologiques importantes. L'étude de l'UCL reconnaît que la courte période disponible pour mener cette étude et la nature
quantitative de l'enquête en ligne n'ont pas pu découvrir pourquoi les images de couteaux n'ont pas impacté l'échantillon de jeunes interrogés.
Cette limite souligne le besoin de recherches qualitatives approfondies pour comprendre les mécanismes fins d'influence.
La plupart des études se concentrent sur des corrélations statistiques sans pouvoir établir de liens définitifs.
L'analyse des mécanismes d'amplification révèle le rôle central des algorithmes prédictifs dans la création de bulles informationnelles.
Selon Romain Badouard, l'utilisation des algorithmes prédictifs facilite et amplifie le partage de contenus violents en créant des bulles de filtre.
Une expérience particulièrement révélatrice citée dans les « Facebook Files » démontre comment, en suivant uniquement le compte de Donald Trump sur un profil Facebook fictif, l'algorithme a
rapidement recommandé des contenus extrémistes.
Cette expérience illustre que les algorithmes mènent les utilisateurs vers des contenus de plus en plus polarisants et radicaux, simplement à partir de quelques interactions initiales.
Les recherches identifient un phénomène de « contagion sociale » spécifique aux environnements numériques.
Contrairement à la violence traditionnelle qui reste localisée, les réseaux sociaux permettent une propagation instantanée et géographiquement illimitée :
Le processus de viralité amplifie particulièrement certains types de contenus. La violence est démultipliée par la viralité et crée des mécanismes d'embrassement communautaire où l'individu se trouve aspiré dans une dynamique de groupe virtuelle.
Les recherches récentes documentent également l'utilisation des réseaux sociaux comme outils d'organisation et de coordination pour des actions violentes.
Cependant, Badouard apporte une nuance importante : la première fonction des réseaux sociaux dans le cadre de révoltes urbaines est de permettre à un public de se montrer à
lui-même.
Constater sur Snapchat ou TikTok l'ampleur du mouvement a permis aux jeunes de prendre conscience de leur nombre.
Les recherches récentes mettent en évidence des mécanismes d'amplification sophistiqués qui ne relèvent pas d'une influence directe mais de processus psychosociaux.
L'étude menée par l'UCL sur l'impact des images de couteaux publiées par la police londonienne offre des enseignements contre-intuitifs.
Cette recherche expérimentale menée auprès de 300 jeunes londoniens âgés de 16 à 27 ans a montré que l'exposition aux images de couteaux saisis par la police n'avait aucun impact direct sur la
volonté de porter une arme.
Les chercheurs suggèrent que cette absence d'effet pourrait résulter d'une désensibilisation des jeunes face à ces images, devenues banales en ligne.
Malgré l'absence d'impact direct, l'exposition au contenu violent en ligne génère des effets psychologiques mesurables et préoccupants.
80% des adolescents qui voient du contenu lié aux armes sur les réseaux sociaux se sentent moins en sécurité.
Cette insécurité perçue a des conséquences comportementales tangibles :
Ce dernier chiffre suggère un mécanisme de réaction défensive plutôt qu'une incitation directe à la violence.
Les mécanismes d'amplification des réseaux sociaux créent une distorsion de la perception de la prévalence de la violence.
L'anthropologue Pascal Plantard explique que la répétition intensive de certains faits divers particulièrement violents peut créer un effet de loupe, donnant l'impression d'une explosion de la
violence alors même que les statistiques officielles indique des tendances plus nuancées.
L'étude du Youth Endowment Fund révèle des données préoccupantes concernant l'exposition des adolescents européens au contenu violent :
Cette exposition n'est pas marginale :
Plus préoccupant encore, 1 adolescent sur 9 a vu des machettes sur les réseaux sociaux, un chiffre significativement supérieur au 1 % qui déclare porter effectivement ce type d'armes.
Les plateformes les plus problématiques sont clairement identifiées :
Cette identification précise des plateformes à risque permet de cibler les efforts de régulation.
Instagram et Snapchat, bien que mentionnés dans les recherches, présentent des taux d'exposition moindres, suggérant des algorithmes différents.
Contrairement aux idées reçues, la grande majorité des jeunes ne recherchent pas activement ce contenu violent.
Seulement 6 % de ceux qui voient du contenu violent en ligne le recherchent intentionnellement.
Cette donnée cruciale démontre que l'exposition résulte principalement de mécanismes passifs d'amplification.
La répartition des modes d'exposition révèle des mécanismes préoccupants :
Cette dernière donnée souligne le rôle actif des algorithmes dans la diffusion non sollicitée de contenu violent.
L'analyse des recherches européennes actuelles révèle que les réseaux sociaux amplifient effectivement la délinquance au couteau, mais de manière indirecte et indéfinis.
Cette amplification ne procède pas d'un mécanisme de causalité directe, mais résulte de plusieurs processus concomitants :
Ces corrélations soulignent plutôt le rôle amplificateur des vulnérabilités sociales existantes que l'existence d'un lien causal simple.
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Sources :
- https://shs.cairn.info/revue-cahiers-du-developpement-social-urbain-2021-2-page-10?lang=fr&ref=doi
- https://droit.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2024-1-page-133?lang=fr
- https://journals.openedition.org/conflits/19292
- https://pure.hud.ac.uk/en/publications/impact-of-social-media-on-knife-crime-in-the-uk
- https://youthendowmentfund.org.uk/wp-content/uploads/2024/11/CVV24_R2_Online.pdf
- https://tijer.org/tijer/viewpaperforall.php?paper=TIJER2506030
- https://www.ijfmr.com/research-paper.php?id=40322
- https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371%2Fjournal.pone.0242621
- https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9679559/
- https://cbcd.bbk.ac.uk/sites/default/files/cbcd/files/people/scientificstaff/teodora/knifecrimereport_0.pdf
- https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/17440572.2023.2211513?needAccess=true&role=button
- https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7732065/